Par Heather Blumenthal
Pour les personnes atteintes d’un cancer, la COVID-19 pose une triple menace. D’abord, leur système immunitaire est déprimé, à cause du simple fait qu’elles ont un cancer, mais peut-être aussi par suite du traitement du cancer, ce qui les rend plus vulnérables à de graves symptômes si elles étaient infectées par le virus. Ensuite, il est difficile de les isoler — un moyen essentiel pour prévenir l’infection — si elles suivent un traitement contre le cancer, en raison des visites fréquentes, voire quotidiennes, à l’hôpital. Enfin, même s’il l’on entend de bonnes nouvelles, ces jours-ci, au sujet des vaccins contre la COVID-19, on ne sait toujours pas s’ils seront efficaces pour ces personnes.
Ce trio de mauvaises nouvelles a fait réfléchir Rebecca Auer à la façon de protéger les patients cancéreux contre la COVID-19. Et la première chose qui lui est venue à l’esprit fut le BCG, un vaccin contre la tuberculose.
La recherche a montré que le BCG prévient non seulement la maladie qu’il cible, mais aussi d’autres maladies provoquées par des virus respiratoires. Elle a aussi montré qu’il améliore les réactions à d’autres vaccins, comme le vaccin antigrippal. Le seul problème, c’est que le vaccin est fabriqué avec une bactérie vivante qui, même si elle s’y trouve sous une forme affaiblie, est encore trop risquée pour être donnée à des patients cancéreux immunodéprimés. La Dre Auer s’est alors mise à la recherche de substances semblables, mais utilisant la bactérie morte.
La Dre Auer, scientifique chevronnée et chirurgienne-oncologue à l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa, a aussi puisé son inspiration d’une source moins évidente — l’industrie du bœuf, où le bétail est expédié sur de longues distances dans des espaces surpeuplés. Ce bétail est vacciné avec un stimulant du système immunitaire inné afin de prévenir différents types d’infections respiratoires, une stratégie qui fonctionne bien. Même avant la COVID-19, la Dre Auer cherchait à savoir si cette stratégie pouvait être utilisée avant une chirurgie du cancer pour stimuler le système immunitaire, ce qui pourrait améliorer le rétablissement et prévenir la récidive du cancer. De là à appliquer la même stratégie pour prévenir la COVID-19 — comme n’importe quelle infection virale, d’ailleurs — chez ces mêmes patients, il n’y avait qu’un pas à faire.
Ce qui est arrivé ensuite était quasiment sans précédent quant à la rapidité et au résultat des efforts conjugués d’un large éventail d’intervenants.
La première étape consistait à trouver une société disposant déjà d’un stimulant du système immunitaire inné. Cela fut fait grâce au Dr Laszlo Radvanyi, président et directeur scientifique de l’Institut ontarien de recherche sur le cancer qui, selon la Dre Auer, « connaît beaucoup de monde et est habile à établir des liens ». Celui-ci a dirigé la Dre Auer vers une société britannique appelée Immodulon Therapeutics, qui avait développé et qui mettait déjà à l’essai l’IMM-101, un stimulant du système immunitaire inné, utilisant un virus tué par la chaleur, qui sert d’adjoint à l’immunothérapie et à la chimiothérapie chez les patients atteints d’un cancer du pancréas, d’un mélanome ou d’un autre type de cancer.
L’étape suivante était logiquement de faire appel à Chris O’Callaghan, qui, à titre de chercheur principal au sein du Groupe canadien d’essais sur le cancer de l’Université Queen’s, savait ce qu’il fallait faire pour organiser rapidement un essai clinique.
Le Dr O’Callaghan était enthousiasmé par le fait que l’IMM-101, développé initialement comme un genre d’immunothérapie, était déjà à l’essai chez des patients cancéreux. Cela démontrait qu’il était sans danger pour cette population, et il s’agissait maintenant de savoir s’il était aussi efficace pour combattre la COVID-19. Le Dr O’Callaghan a appelé cela de l’opportunisme.
À partir de la fin mars, quand la Dre Auer a commencé à réfléchir au problème, les choses se sont déroulées à la vitesse de l’éclair. En avril et mai, le groupe a préparé des demandes de financement (dont une acceptée par BioCanRx) et a élaboré le protocole d’essai. En juin, le protocole était soumis à Santé Canada, puis approuvé. En septembre, le groupe lançait l’essai et recrutait des patients.
« C’était assurément différent de ce à quoi tout le monde était habitué, dit la Dre Auer. »
Les essais de vaccin sont différents des essais de médicament normaux, affirme le Dr O’Callaghan. En termes simples, dans un essai de médicament, on donne le médicament à un groupe de patients et un placebo à un autre groupe, et l’on mesure ce qui arrive. Dans un essai de vaccin, on administre le vaccin à un groupe de personnes et un placebo à un autre groupe, puis on attend. On attend que suffisamment de personnes contractent le virus pour pouvoir évaluer si le vaccin fait une différence. Il est donc difficile de prédire combien de temps va durer l’essai.
« Il faut juste regarder et attendre ». Il ajoute toutefois qu’ils visent les villes les plus touchées au pays — Toronto, Ottawa, Montréal, Calgary et Vancouver. Lui et la Dre Auer croient qu’ils pourraient obtenir des résultats dans environ un an. Ils croient aussi mener leur essai tout à fait au bon moment, car le nombre de cas augmente dans la deuxième vague d’infection.
Ainsi donc, si la COVID-19 pose une triple menace aux patients atteints de cancer, l’IMM-101 pourrait offrir un triple avantage : il pourrait immuniser les patients contre la COVID-19, améliorer la réaction des patients à un éventuel vaccin contre la COVID-19 et comporter des avantages contre d’autres virus respiratoires. Et comme si cela ne suffisait pas, l’IMM-101 peut aussi avoir des propriétés anticancéreuses. Voilà bien de quoi célébrer, même si les circonstances ne se prêtent pas particulièrement à la fête.
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Heather Blumenthal écrit au sujet de la santé et de la recherche en santé depuis une vingtaine d’années et n’a jamais cessé d’être fascinée par les progrès qu’accomplissent les chercheurs canadiens.