Par Heather Blumenthal
L’immunothérapie est devenue largement acceptée, à la fois dans la recherche et dans la pratique, en tant qu’outil puissant pour traiter de nombreux types de cancer. En effet, on l’appelle souvent le « quatrième pilier » du traitement du cancer, après la chirurgie, la chimiothérapie et la radiothérapie. Le Dr Douglas Mahoney, professeur agrégé à l’Université de Calgary et scientifique translationnel à l’Institut du cancer Charbonneau et à l’Institut de recherche de l’Hôpital pour enfants de l’Alberta, utilise le soutien d’une subvention dynamisante de BioCanRx pour faire progresser l’immunothérapie appelée thérapie cellulaire CAR-T (thérapie par récepteurs de l’antigène chimérique) en développant un traitement hautement personnalisé pour les patients atteints d’un type rare de sarcome.
Rappelons d’abord quelques faits. Alors qu’elle était âgée de 14 ans, la patiente qu’on nommera P a d’abord reçu un diagnostic de sarcome alvéolaire des parties molles (SAPM) – un cancer si rare que seulement environ 20 personnes au Canada en sont atteintes. Le cancer était en phase terminale, et la plupart des patients ne survivent que de 3 à 10 ans. Le SAPM était à la fois à croissance lente et hautement métastatique; en effet, au moment où P a été diagnostiquée, le cancer s’était déjà propagé à ses poumons et à son cerveau. La chimiothérapie ne fonctionne pas contre ce cancer, et la radiothérapie n’est en partie efficace que contre la tumeur primitive, laissant la chirurgie comme seule option pour prolonger la vie. Six ans après son diagnostic, et à seulement 21 ans, P a subi 10 chirurgies pour enlever des tumeurs de sa jambe, de ses poumons, de son cerveau, de sa colonne vertébrale, de son côlon et de son pancréas. Mais comme l’explique le Dr Mahoney, il arrivera un jour où la chirurgie ne sera plus possible. La maladie est à l’état quiescent, mais le Dr Mahoney veut être prêt quand elle se réveillera, ce qui se produira certainement un jour.
Pour ce faire, une équipe de scientifiques dirigée par le Dr Franz Zemp, associé de recherche, a entrepris au début de 2021 de développer une nouvelle thérapie CAR-T pour P. C’est une entreprise complexe qui nécessite des contributions de scientifiques et de cliniciens aux compétences diverses. Enfin, cette expertise a été réunie dans le cadre de l’initiative de thérapie cellulaire et d’oncologie immunitaire ACTION de l’Alberta, un nouveau programme de recherche multidisciplinaire dirigé par le Dr Mahoney qui se consacre au développement de thérapies CAR-T de nouvelle génération pour les patients atteints de cancer.
La thérapie CAR-T est une forme d’immunothérapie qui utilise le génie génétique pour rediriger le système immunitaire de la patiente contre sa tumeur. Pour que cela fonctionne, les cellules CAR-T doivent d’abord être programmées pour reconnaître une cible, ou un antigène, à l’extérieur des cellules cancéreuses du patient, explique le Dr Mahoney. Un antigène idéal est exprimé à la surface de chaque cellule du cancer du patient, même en cas de rechute, mais pas sur les cellules non cancéreuses. Il devrait également être essentiel au cancer, ce qui signifie que la tumeur en a besoin pour fonctionner.
C’est là que P a eu de la chance, pour ainsi dire. Les tumeurs du SAPP, contrairement à beaucoup d’autres tumeurs cancéreuses, sont de nature homogène. D’autres cancers peuvent présenter des mutations, qui diffèrent souvent non seulement entre chaque tumeur, mais aussi à l’intérieur de celle-ci, mais le SAPP est généralement attribuable à une seule altération génomique. On pense que chaque cellule d’une tumeur SAPP est « dépendante », pour utiliser le terme du Dr Mahoney, à cette mutation particulière. Comme les mutations déterminent l’expression des antigènes de surface, le SAPP peut être un type de cancer qui se prête à la thérapie CAR-T. L’astuce consiste à trouver le bon antigène de surface.
Ce processus a été facilité grâce au don par P d’échantillons de tumeurs de chacune de ses chirurgies – un total de neuf échantillons différents provenant de six organes différents – à la biobanque des tumeurs et des tissus Clark H. Smith de l’Institut du cancer Charbonneau. Ainsi, lorsque le Dr Mahoney et son équipe trouvaient un antigène qui les enthousiasmait, ils pouvaient valider son expression sur neuf échantillons différents. Dans les neuf cas, l’antigène a été fortement exprimé sur chaque cellule cancéreuse. Mieux encore, lorsqu’ils l’ont testé sur des cellules non cancéreuses, l’antigène était rarement exprimé à la surface de ces cellules, ce qui signifiait que la probabilité d’effets secondaires imprévus – et indésirables – était minimisée.
« Nous avons eu beaucoup de chance d’avoir ces échantillons », dit le Dr Mahoney.
Ensuite, l’équipe devait développer un nouveau CAR contre l’antigène de surface hautement exprimé. Cela nécessitait deux composants : un domaine de base et un domaine de ciblage. Ils ont trouvé le domaine de base dans la thérapie CAR-T testée dans l’essai CLIC-01 dirigé par la Dre Natasha Kekre à l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa. À l’aide d’un domaine de ciblage extrait d’un anticorps validé cliniquement, ils ont créé une nouvelle CAR-T contre l’antigène trouvé à la surface des tumeurs de P. Ils ont ensuite testé l’efficacité du CAR en l’intégrant aux propres cellules T de P et en déterminant dans quelle mesure il tuait ses cellules cancéreuses (cultivées en laboratoire) et ses tumeurs (xénogreffées chez la souris). Les résultats ont été sans équivoque, la nouvelle thérapie CAR-T tuant rapidement les cellules cancéreuses de P et éradiquant ses tumeurs chez la souris.
« Je n’ai jamais entendu parler de quelque chose de ce genre auparavant », dit le Dr Mahoney. « C’est vraiment une thérapie CAR-T personnalisée. »
Depuis la production de ces données, le Dr Mahoney et son équipe travaillent avec le Centre de fabrication de produits biothérapeutiques de l’Hôpital d’Ottawa pour fabriquer une version de qualité clinique de la thérapie CAR-T qui convient à une utilisation chez l’homme et qui a été produite en juillet 2022. La prochaine étape?
Eh bien, tout d’abord, la thérapie CAR-T de qualité clinique doit être testée aux fins de pureté et de fonction, et l’équipe a entrepris ces tests. Si tout se passe comme prévu, une demande d’essai clinique pour une étude sur un seul patient sera ensuite soumise à Santé Canada à la fin de 2022. Avec cette approbation en main, l’équipe travaillera ensuite à obtenir les approbations locales en matière d’éthique et des hôpitaux afin qu’elle puisse traiter P lorsque sa maladie redeviendra active.
Même si ce projet visait d’abord à aider un patient en particulier, l’équipe s’oriente également vers le lancement d’un essai clinique de phase 1 plus traditionnel qui recruterait des patients souffrant de SAPP dans cinq sites à travers le Canada en 2023. De plus, l’équipe vérifiera si cette thérapie CAR-T peut être utilisée pour d’autres cancers qui expriment la même cible.
« Bien que nous ayons conçu cela comme une thérapie personnalisée, il y a de fortes chances que d’autres patients puissent en bénéficier », explique le Dr Mahoney. « Cela pourrait devenir le paradigme pour d’autres maladies rares. »
Heather Blumenthal écrit au sujet de la santé et de la recherche en santé depuis une vingtaine d’années et n’a jamais cessé d’être fascinée par les progrès qu’accomplissent les chercheurs canadiens.