Par Heather Blumenthal
Depuis des siècles, les lamas sont au service des populations de la cordillère des Andes, en Amérique du Sud, en tant que bêtes de somme et sources de fibres et de nourriture. Aujourd’hui, les lamas sont également mis à contribution ici, au Canada, pour aider les chercheurs à développer de nouvelles formes d’anticorps qui pourront ensuite être utilisées dans le cadre de la thérapie T à CAR.
Le Dr Scott McComb, du Conseil national de recherches du Canada (CNRC) et du département de biochimie, de microbiologie et d’immunologie de l’Université d’Ottawa, dirige un projet dynamisant soutenu par BioCanRx et intitulé Études dynamisantes d’essai clinique sur la thérapie par récepteur d’antigènes chimériques à cibles multiples.
Ce que lui et son équipe font avec les anticorps de lama pourrait améliorer considérablement le succès des thérapies T à CAR en augmentant la probabilité que le patient réponde au traitement et que cette réponse dure beaucoup plus longtemps – idéalement, selon le Dr McComb, pour toute la vie.
Le Dr McComb explique que les thérapies T à CAR actuelles, dont l’utilisation est approuvée en clinique, sont très efficaces pour certaines personnes. D’autres personnes, en revanche, ne répondent pas bien au traitement. Et même pour celles qui répondent bien, cette réponse peut s’affaiblir avec le temps. La raison? Les cellules cancéreuses sont intelligentes. Lorsqu’elles sentent que les molécules T à CAR se fixent à des antigènes à leur surface, court-circuitant leur capacité à repousser les attaques du système immunitaire, les cellules cancéreuses peuvent cesser de présenter cet antigène (un peu comme le virus qui cause la Covid-19 peut muter en changeant les protéines de spicule à sa surface). La thérapie T à CAR n’est alors d’aucune utilité, car elle ne s’attache qu’à un seul antigène et cet antigène n’est plus présent. Le patient est alors victime d’une rechute. Cela se produit dans environ un tiers des cas.
Actuellement, toutes les molécules T à CAR disponibles sur le marché pour traiter la leucémie et le lymphome à cellules B ciblent le même antigène, le CD19. Le Dr McComb et son équipe travaillent à la mise au point d’une molécule T à CAR qui se fixera à de multiples antigènes cibles (CD19, mais aussi CD20 et CD22) que l’on trouve couramment sur les cellules de la leucémie à cellules B. On pense pouvoir utiliser une molécule T à CAR chez un plus grand nombre de patients, car elle sera efficace contre plusieurs types de cellules cancéreuses, et lorsque la cellule cancéreuse changera d’antigène, la molécule T à CAR restera efficace. La cellule cancéreuse devra alors « évoluer plus radicalement », dit le Dr McComb.
« En visant plus d’une cible, nous espérons obtenir une réponse qui ne soit pas seulement à court terme mais qui durera », explique-t-il.
La première étape essentielle de cette recherche consiste à créer des anticorps qui se lieront étroitement à différentes protéines CD à la surface de la cellule cancéreuse. Ces anticorps se développent lorsqu’on injecte à des animaux un vaccin qui suscite une forte réponse anticorps à leur encontre. Pour trouver un nouvel anticorps qui se fixe spécifiquement à une seule protéine CD, il faut créer son propre vaccin. Pour trouver des anticorps qui se fixent à plusieurs protéines CD, il faut donc plusieurs vaccins de ce type.
C’est ici que les lamas entrent en jeu.
Alors que la plupart des autres études sur la recherche d’anticorps utilisent habituellement des souris, le Dr McComb explique que l’équipe du CNRC a choisi d’utiliser des lamas pour deux raisons. Premièrement, les lamas produisent des anticorps plus petits et plus simples que ceux des souris, ce qui permet de les combiner plus facilement et plus rapidement dans une molécule T à CAR. Deuxièmement, les anticorps des lamas sont génétiquement plus semblables aux anticorps humains, de sorte que le système immunitaire des patients est moins susceptible de rejeter une molécule T à CAR à base d’anticorps de lamas.
Les chercheurs du CNRC ont une longue expérience de la production et du développement de ces anticorps de lama de petite taille destinés à être utilisés dans des traitements. Mettant à profit cette expertise fondamentale, le Dr McComb et l’équipe du CNRC chargée des anticorps de lamas ont collaboré avec succès pour créer les anticorps de petite taille nécessaires à une thérapie T à CAR à plusieurs volets. Selon lui, le défi consiste maintenant à « rétromodifier » ces anticorps pour créer une molécule T à CAR qui peut être introduite dans des cellules humaines, puis à utiliser un criblage à haut rendement pour trouver les molécules CAR qui fonctionnent le mieux contre la leucémie. L’objectif est de disposer d’un produit prêt à être utilisé en clinique dans les prochaines années.
À cette fin, les résultats du projet appuieront une demande d’essai clinique auprès de Santé Canada.
On espère que la thérapie T à CAR à cibles multiples augmentera considérablement les chances de succès du traitement pour les patients atteints de leucémie. Mais, comme le souligne le Dr McComb, ce n’est que la moitié de la bataille. L’autre moitié consiste à faire en sorte que les patients de partout au Canada aient accès à cette nouvelle thérapie, et ce second aspect suscite autant de préoccupations chez lui que le développement de la thérapie elle-même.
Comme il l’explique, la question de l’accès comporte trois volets. Premièrement, les systèmes de santé provinciaux doivent financer ces types de thérapies, qu’elles soient à l’essai ou approuvées. Deuxièmement, nous devons avoir la capacité au Canada de créer la cellule T à CAR. La fabrication des composants de la thérapie T à CAR peut se faire à un seul emplacement centralisé, mais la combinaison des cellules immunitaires du patient avec la molécule T à CAR nécessitera une capacité de fabrication répartie, afin que cette combinaison puisse être effectuée aux emplacements où les patients sont traités partout au Canada.
Enfin, la thérapie T à CAR est coûteuse. Mais le Dr McComb affirme que l’équipe du CNRC travaille déjà à la mise en place d’options, dans le cadre de son programme Défi au service des thérapies cellulaires et géniques, pour rendre cette thérapie T à CAR à cibles multiples fabriquée au Canada plus abordable. Ainsi, cette nouvelle thérapie serait accessible à un plus grand nombre de patients atteints de leucémie et coûterait moins cher au système de santé – une situation gagnante pour tous.
Apprendre encore plus : https://biocanrx.com/es19-mccomb?lang=fr
Heather Blumenthal écrit au sujet de la santé et de la recherche en santé depuis une vingtaine d’années et n’a jamais cessé d’être fascinée par les progrès qu’accomplissent les chercheurs canadiens.