Par Heather Blumenthal
L’application des connaissances est devenue un concept clé dans le monde de la recherche. Mais tel que ce concept est généralement utilisé, il consiste littéralement à faire passer les découvertes du laboratoire à la clinique, à assurer le cheminement du laboratoire au chevet du patient.
Il existe une autre façon d’envisager l’application des connaissances, c’est-à-dire une façon qui consiste à traduire les découvertes du laboratoire non seulement en applications cliniques, mais aussi en croissance économique par la création d’une entreprise de commercialisation de ces découvertes. C’est la voie empruntée par Jean-Simon Diallo, de l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa (IRHO) et professeur adjoint à l’Université d’Ottawa. Il a créé une entreprise appelée Virica pour commercialiser sa découverte de sensibilisateurs viraux et tirer parti de leur énorme potentiel commercial.
Vous vous demandez peut-être ce que sont les sensibilisateurs viraux? Bonne question. Pour y répondre, il faut revenir au concept même d’immunothérapie. Il existe différentes sortes d’immunothérapies. Dans certains cas, elles nécessitent la réingénierie des cellules en laboratoire pour combattre le cancer, en utilisant souvent des virus comme outil de réingénierie. Dans d’autres cas, c’est le virus lui-même qui constitue la thérapie, comme dans le cas des virus oncolytiques, qui doivent être délivrés directement à la tumeur. Dans tous les cas, les cellules cancéreuses – comme toutes les cellules d’ailleurs – ont des défenses naturelles contre les virus, défenses qui sont généralement une bonne chose (pensez à la lutte contre la COVID-19). Dans le cas du cancer, cependant, il est nécessaire de briser ces défenses. Et c’est là qu’interviennent les sensibilisateurs viraux. Il s’agit de petites molécules qui aident les virus à franchir les défenses. Ils constituent, en substance, la troisième partie du casse-tête de l’immunothérapie.
Le Dr Diallo a eu cette idée alors qu’il travaillait comme boursier postdoctoral dans le laboratoire du Dr John Bell, directeur scientifique de BioCanRx, à la recherche de moyens d’améliorer les résultats de l’immunothérapie.
« Nous étions vraiment préoccupés par la faible efficacité de la thérapie chez les patients traités avec des virus oncolytiques, explique-t-il. Nous avons compris que si le virus n’infecte pas la cellule cible, la thérapie ne fonctionne pas. Nous avons donc cherché des moyens d’aider les virus oncolytiques à surmonter la résistance de la tumeur. »
Et si parfois la recherche est une entreprise délicate et ciblée, ce n’était pas le cas cette fois-ci, selon le Dr Diallo. Il a plutôt appliqué ce qu’il appelle la « force brute » à la découverte, en passant au crible un grand nombre de petites molécules à la fois afin de trouver de bons candidats pour aider les virus à atteindre leur cible, une recherche qui l’a conduit aux sensibilisateurs viraux.
Il a identifié les sensibilisateurs pour la première fois en 2008. Puis, en 2009, la pandémie de grippe H1N1 est arrivée.
« J’attendais moi-même de recevoir un vaccin, dit-il. J’ai dû attendre plus longtemps en raison d’une production manufacturière plus faible que prévu. J’ai additionné deux et deux. »
Le « quatre » qu’il a obtenu est la prise de conscience que son sensibilisateur viral pourrait fonctionner pour d’autres choses que les virus oncolytiques. En fait, au-delà de l’immunothérapie, les sensibilisateurs viraux ont aussi un rôle à jouer dans des domaines aussi variés que le développement de vaccins et la thérapie génique – deux domaines dans lesquels un virus est nécessaire pour délivrer quelque chose (un anticorps dans le premier cas, un gène de remplacement dans le second) à une cible spécifique. Cela signifie que le marché des sensibilisateurs viraux, tant au Canada qu’ailleurs dans le monde, est à la fois vaste et en pleine croissance.
Cette prise de conscience l’a mis sur une « voie parallèle » à son intérêt principal pour les thérapies contre le cancer. Tout en continuant à recevoir un soutien continu de BioCanRx pour ses travaux visant à tester et à affiner sa découverte, il a également commencé à collaborer avec l’industrie, dont les besoins en matière de production de virus sont « énormes », dit-il. L’industrie a rapidement reconnu que les sensibilisateurs viraux pouvaient l’aider à produire des virus efficaces à des fins multiples.
Pourtant, le Dr Diallo explique qu’en tant que chercheur universitaire, il ne savait pas grand-chose du processus de création d’une entreprise et qu’il n’était pas vraiment formé pour penser de cette manière. C’est là que l’expertise approfondie en commercialisation du Conseil d’administration de BioCanRx est intervenue et que Virica a été lancée en 2018. Aujourd’hui, les activités de Virica sont principalement axées sur le lentivirus, un vecteur viral clé utilisé par l’industrie et les chercheurs du monde entier pour modifier la charge utile génétique des cellules.
« Les technologies que Virica conçoit sont absolument applicables au mandat de BioCanRx, explique le Dr Diallo. Notre succès signifie qu’il existe des moyens moins coûteux de produire des thérapies contre le cancer. »
Et, selon lui, d’autres chercheurs devraient réfléchir à la façon de commercialiser leurs travaux. « Grâce à BioCanRx, dit-il, nous avons la capacité, l’infrastructure et le personnel hautement qualifié. »
« Nous avons le talent, nous savons ce que nous faisons, affirme-t-il. Nous devrions en tirer parti en tant que nation. »
Heather Blumenthal écrit au sujet de la santé et de la recherche en santé depuis une vingtaine d’années et n’a jamais cessé d’être fascinée par les progrès qu’accomplissent les chercheurs canadiens.