Par Heather Blumenthal
Pour Rob Holt et Simon Turcotte, le cancer du pancréas était une cible évidente.
Tout d’abord, parce que le besoin est si grand. Le cancer du pancréas était la quatrième cause de mortalité par cancer en 2019. Et, selon le Dr Holt (co-directeur du programme d’immunothérapie contre le cancer de la Colombie-Britannique), il va continuer à progresser lorsque les chiffres de 2020 seront publiés. Selon lui, il est important de se concentrer sur un cancer dont le pronostic est si sombre et la mortaIité si élevée. « Malgré un demi-siècle d’efforts de développement de médicaments, ajoute le Dr Turcotte (du Centre hospitalier de l’Université de Montréal, ou CHUM), aucun traitement curatif n’a été découvert même si des progrès majeurs ont été réalisés pour prolonger la vie des patients atteints de cancer du pancréas. » Cela fait de l’immunothérapie une option particulièrement importante.
Ensuite, parce que le potentiel est aussi grand que le besoin. Contrairement à de nombreux cancers, qui peuvent dépendre d’un nombre illimité de gènes et d’un nombre illimité de mutations sur ces gènes – aléatoires et sporadiques, le Dr Holt explique que la grande majorité des personnes atteintes d’un cancer du pancréas ont le même gène qui mute dans la même zone – le genre de mutation de point chaud qu’il est très inhabituel de voir dans un cancer.
« Lorsque vous identifiez une cible en fonction des cellules T immunitaires, vous avez la possibilité de tuer ces cellules cancéreuses, explique le Dr Turcotte. Et, une fois cette cible identifiée, lorsque nous trouvons un moyen de diriger le système immunitaire vers elle, nous augmentons considérablement l’aide potentielle que nous pouvons fournir à un pourcentage important de personnes atteintes d’un cancer du pancréas. »
Dans le cancer du pancréas, le gène où se produisent les mutations des points chauds est connu sous le nom de KRAS. Il a été découvert il y a environ 30 ans. Et c’est très frustrant que cette découverte n’ait donné lieu à aucune amélioration clinique, explique le Dr Holt. Mais le Dr Holt et le Dr Turcotte pensent avoir trouvé un moyen de cibler le gène KRAS par l’immunothérapie. Des recherches antérieures ont établi que les patients atteints de cancer en général ont souvent une réponse immunitaire contre les mutations, une réponse qui n’est pas assez forte pour faire une différence par elle-même – et les patients atteints de cancer du pancréas ne sont pas différents. Pour eux, le renforcement sélectif de cette réponse immunitaire à la mutation du point chaud KRAS par l’immunothérapie pourrait les aider à lutter contre le cancer.
Pour mettre au point une telle thérapie, il faut d’abord trouver un moyen de programmer les cellules immunitaires pour qu’elles atteignent la cible. Les docteurs Holt et Turcotte ont identifié les récepteurs des cellules T (TCR) qui permettent aux cellules T, un type de cellule immunitaire, de reconnaître et de tuer les cellules cancéreuses du pancréas qui portent des mutations KRAS. Grâce à des travaux antérieurs, ils ont également établi des méthodes pour reprogrammer les cellules T des patients cancéreux. Il s’agit, selon le Dr Holt, d’une forme de thérapie génique qui consiste à insérer dans les cellules T du patient un gène comportant des directives permettant aux TCR de sélectionner le gène KRAS. Il s’agit également d’une immunothérapie car, comme dans d’autres formes d’immunothérapie, les cellules T sont cultivées en laboratoire puis réinjectées au patient pour générer une forte réaction immunitaire anticancéreuse.
Contrairement aux cellules T-CAR plus connues, qui reconnaissent les protéines entières à la surface des cellules cancéreuses, les cellules T-TCR que les docteurs Turcotte et Holt utilisent reconnaissent des morceaux de protéines hachées produites par le gène KRAS muté dans le cas du cancer du pancréas. Cela est nécessaire car les protéines comme celle produite par le gène KRAS fonctionnent à l’intérieur de la cellule, et seuls de petits fragments de celles-ci parviennent généralement à la surface de la cellule où elles peuvent être vues par les cellules immunitaires. Toutefois, l’approche générale consistant à modifier génétiquement les cellules immunitaires pour reconnaître les cellules cancéreuses est la même pour la thérapie T-CAR et la thérapie cellulaire T-TCR, ce qui signifie que le projet peut utiliser l’installation de fabrication de BioCanRx que le Dr Holt a contribué à mettre en place pour créer ses cellules T « super chargées ».
« Nous pensons que cette approche va être efficace dans le cas du cancer du pancréas, car nous touchons une cible spécifique avec un outil très puissant », déclare le Dr Turcotte.
Ayant réussi à isoler et à enrichir les cellules T pour cibler le cancer du pancréas, les docteurs Holt et Turcotte utilisent maintenant une subvention de projet dynamisant de BioCanRx pour effectuer les essais et recueillir les preuves à l’appui d’une demande d’essai clinique à Santé Canada en vue d’un essai de phase 1 de cette immunothérapie ciblant le cancer du pancréas – en fait, pour passer du laboratoire au chevet du patient et, espérons-le, améliorer le pronostic des personnes atteintes du cancer du pancréas.
Heather Blumenthal écrit au sujet de la santé et de la recherche en santé depuis une vingtaine d’années et n’a jamais cessé d’être fascinée par les progrès qu’accomplissent les chercheurs canadiens.