Dans le monde réel

Par Heather Blumenthal

 

Les essais cliniques – en particulier ceux réalisés à double insu et avec répartition aléatoire – sont considérés la référence en matière de développement de nouveaux traitements et thérapies, et ce pour une bonne raison. Ils fournissent les données sur la sécurité et l’efficacité qui permettent à ces traitements de faire le saut final vers une utilisation réelle en clinique.

 

Mais que se passe-t-il ensuite? C’est ce que Kelvin Chan veut savoir.

 

Les essais cliniques sont des activités soigneusement contrôlées. Seul un sous-ensemble de patients sélectionnés, répondant à des critères d’inclusion stricts, peut y participer. Il est important de noter que ces patients ne présentent généralement pas de comorbidités susceptibles de compliquer les résultats. En outre, les participants sont soigneusement suivis et contrôlés pour veiller à ce qu’ils respectent toutes les conditions de l’essai. En substance, les essais cliniques fournissent des données dans un « monde idéal ».

 

Cependant, dans le monde réel, les choses sont différentes. Toutes sortes de patients reçoivent les traitements, beaucoup d’entre eux ayant des problèmes de santé plus complexes qui peuvent affecter leur réponse au traitement. Et dans une large mesure, ils bénéficient d’un suivi et d’un soutien moins grands pendant qu’ils suivent le traitement. Cela peut changer les résultats, mais comment?

 

Pour compliquer davantage les choses, un grand nombre de nouveaux traitements, notamment dans le domaine du cancer, sont incroyablement coûteux. Les organismes de réglementation de la santé décident de ce qu’il convient de financer sur la base des données des essais cliniques. Mais si l’utilisation du traitement dans le monde réel donne des résultats différents, comment cela affecte-t-il ou devrait-il affecter les décisions de financement?

 

Le Dr Chan, oncologue médical et chercheur associé au Centre du cancer Odette du Centre des sciences de la santé Sunnybrook de Toronto, utilise souvent le terme « monde réel ». Il a reçu une subvention de BioCanRx dans le cadre du programme de financement de la recherche ayant des impacts cliniques, sociaux et économiques (ICSE) pour étudier deux types de thérapies contre le cancer – l’utilisation d’un biosimilaire, le bevacizumab, pour traiter le cancer colorectal avancé, et la thérapie cellulaire T-CAR pour traiter la leucémie chez les enfants et le lymphome chez les adultes – afin de voir comment elles se comportent dans le monde réel.

 

« Parfois, les essais cliniques se concentrent sur des résultats à court terme et sur une population hautement sélectionnée, explique le Dr Chan. Leurs résultats peuvent ne pas représenter pleinement la population de patients non sélectionnés que nous soignons dans notre pratique courante. »

 

Les biosimilaires présentent un intérêt particulier en raison de leur coût – s’ils s’avèrent avoir les mêmes résultats que les produits biologiques nettement plus chers qu’ils peuvent remplacer, ils peuvent permettre des économies importantes pour les systèmes de soins de santé tout en produisant des résultats tout aussi bons.

 

La thérapie T-CAR, en revanche, est extrêmement coûteuse, en grande partie à cause de sa nature personnalisée; les cellules immunitaires de chaque patient doivent être manipulées individuellement en laboratoire. Des preuves de son efficacité dans le monde réel sont nécessaires pour justifier les sommes importantes qu’elle requiert.

 

Alors comment obtenir ces preuves dans le monde réel? Et bien, en Ontario, ou dans tout le Canada d’ailleurs, c’est beaucoup plus facile qu’à bien d’autres endroits dans le monde en grande partie parce que notre système de soins de santé financé par les fonds publics signifie que de vastes ensembles de données sur les patients et de données administratives sont disponibles pour mener le genre de recherche que le Dr Chan entreprend.

 

En ce qui concerne les patients, le Dr Chan les suivra à partir de leur inscription initiale pour vérifier des éléments tels que les taux de survie et les effets secondaires. Il s’intéressera à des résultats comme les séjours à l’hôpital après le traitement et les visites aux urgences des patients, des facteurs qui peuvent faire augmenter les coûts. Il examinera également les caractéristiques de base des patients pour en savoir plus sur les personnes qui reçoivent ces traitements et sur l’influence de facteurs tels que les comorbidités sur les résultats.

 

« Nous essayons de voir ce qui arrive ultimement aux patients », dit-il.

 

Au niveau du système, le Dr Chan s’intéressera également à l’utilisation des ressources, aux coûts et aux facteurs qui font grimper les coûts ou qui contribuent à les faire baisser. Un traitement réussi, par exemple, peut faire baisser les coûts généraux parce que d’autres traitements ne sont pas nécessaires. Un traitement infructueux ou un traitement ayant des effets secondaires importants peut faire augmenter les coûts.

 

« Quel est le rapport qualité-prix? » demande le Dr Chan. « Est-il celui prévu? Meilleur? Pire? »

 

Mais l’évaluation des technologies de la santé – nom « officiel » des travaux du Dr Chan – n’est qu’une partie du casse-tête. L’application des connaissances est l’autre partie essentielle – comment vérifier si les connaissances générées par ses recherches sont réellement mises en pratique, et ce, afin de soutenir les décisions souvent difficiles qui doivent être prises sur ce qui devrait être couvert par notre système de santé publique et pour quelles personnes.

 

« Après les publications, les présentations, que se passera-t-il? » demande-t-il. « Je veux faire quelque chose de mieux pour les patients de l’Ontario. »

 

C’est la raison pour laquelle il a fait participer les utilisateurs des connaissances – les décideurs en matière de soins de santé et les responsables des politiques – à l’étude dès le début. L’un de ses cochercheurs, par exemple, est Scott Gavura, directeur des programmes provinciaux de remboursement des médicaments d’Action Cancer Ontario.

 

« Une meilleure compréhension des résultats cliniques et économiques dans le monde réel de la thérapie cellulaire T CAR favorisera la durabilité du financement à long terme, ainsi que l’évaluation des cas pour lesquels ces thérapies sont indiquées », a déclaré M. Gavura. « De même, l’évaluation des biosimilaires après leur mise en œuvre et la confirmation de leur efficacité renforceront la confiance des patients et des fournisseurs à l’égard de ces types de produits biologiques. »

 

« Je veux promouvoir la durabilité du programme de médicaments contre le cancer, déclare le Dr Chan. Si nous ne faisons pas de suivi, nous ne connaîtrons pas les effets dans le monde réel. »

 

Et en savoir plus nous permettra de fournir les meilleurs soins fondés sur des données probantes aux personnes atteintes de cancer.

 


 

Heather Blumenthal écrit au sujet de la santé et de la recherche en santé depuis une vingtaine d’années et n’a jamais cessé d’être fascinée par les progrès qu’accomplissent les chercheurs canadiens.