Par : Heather Blumenthal
C’est une chose d’être admiré par tous ses amis pour sa fameuse recette de bœuf bourguignon. C’est une chose complètement différente d’ouvrir un restaurant où ce plat sera la vedette du menu. Tout à coup, il faut s’assurer de la qualité des ingrédients, préparer la recette à plus grande échelle puisque le plat sera servi plusieurs fois par jour et veiller à ce que chaque plat servi respecte les normes établies et ne provoque aucun malaise chez les clients.
C’est un peu la même chose avec les lymphocytes T, un type de globule blanc qui réussit particulièrement bien à s’attaquer aux tumeurs. Il faut beaucoup d’efforts pour que ces cellules soient transférées du laboratoire à la clinique – des efforts qui sont maintenant au centre des travaux du Dr Brad Nelson de l’Agence du cancer de la C.-B.
Son but est de traiter les patients qui souffrent d’un lymphome avec des lymphocytes T qui reconnaissent les mutations « conductrices » pilotes dans leurs cellules cancéreuses. Il peut y avoir des centaines, voire des milliers, de mutations dans une cellule cancéreuse, mais la grande majorité d’entre elles sont des mutations « passagères » – des mutations qui ne font que suivre la parade. Il n’y a que de 5 à 10 % des mutations qui sont ce que les scientifiques qualifient de mutations « conductrices » – des mutations qui génèrent des signaux pour que les cellules cancéreuses survivent, croissent et se propagent.
L’équipe du Dr Nelson concentre ses efforts sur la forme de cancer nommée le lymphome folliculaire (une forme courante de lymphome non hodgkinien). Les membres de l’équipe ont découvert qu’il était possible de prendre un échantillon sanguin d’une personne souffrant de cette maladie et, en stimulant les peptides mutants, d’isoler les lymphocytes T qui reconnaissent les mutations « conductrices » dans la tumeur du patient. En quelques semaines, les lymphocytes T se reproduisent en grand nombre et, lorsqu’elles sont davantage enrichies, elles peuvent atteindre une pureté de presque 100 %. Il s’agit ensuite de réinjecter les lymphocytes T dans le système sanguin du patient, où ces cellules peuvent s’attaquer aux cellules du lymphome qui transportent les mutations « conductrices ».
« La sélection et la culture des bons lymphocytes T s’apparente à trouver une aiguille dans une botte de foin, affirme le Dr Nelson. Mais dans notre cas, nous encourageons les aiguilles à se reproduire pour qu’elles envahissent la botte de foin. »
À ce jour, l’équipe du Dr Nelson a produit des lymphocytes T réagissant aux mutations pour un petit groupe de patients, ce qui prouve que cela est réalisable. L’équipe se prépare maintenant à l’étape finale : réinjecter les lymphocytes T dans le système sanguin des patients. Lorsqu’ils le feront, ce sera le premier essai réalisé dans le monde sur les mutations « conductrices » d’un lymphome, et l’un des quelques essais seulement ciblant un type de cancer en particulier.
Selon le Dr Nelson, cette technique est très avant-gardiste; c’est l’une des premières techniques de ce genre expérimentées dans le monde, et ce, pour tous les types de cancer.
Le Dr Nelson a choisi le lymphome folliculaire pour plusieurs raisons. Premièrement, les caractéristiques des mutations « conductrices » de ce type de cancer sont bien connues; il sait donc quelles mutations doivent être ciblées. Environ 50 mutations « conductrices » ont été identifiées pour le lymphome folliculaire, et un patient donné peut compter de cinq à six de ces mutations.
Deuxièmement, le lymphome folliculaire fait partie des cancers indolents – il croît et change très lentement, ce qui donne à l’équipe de recherche le temps requis pour produire suffisamment de lymphocytes T réagissant aux mutations aux fins de traitement. Enfin, bien que le lymphome folliculaire réponde bien au traitement et qu’il puisse demeurer en rémission pendant de longues périodes, il ne quitte jamais complètement le corps du patient. Ce dernier doit vivre avec la possibilité que le cancer se réveille à nouveau et qu’il ne soit alors pas possible de le traiter. Par conséquent, ces travaux suscitent un espoir réel de pouvoir vaincre ce cancer incurable.
Pour 2018, le Dr Nelson a pour objectif de lancer des essais cliniques de phase 1 avec la participation de 10 patients ayant un lymphome. Les lymphocytes T modifiés pour réagir aux mutations seront réinjectés aux mêmes patients pour déterminer si les lymphocytes T réussissent à s’attaquer aux cellules cancéreuses. Mais avant de pouvoir faire cela, le Dr Nelson doit se préparer pour transformer sa « recette personnelle » en un produit pouvant être « servi au restaurant » . C’est là que s’écroulent plusieurs des idées établies en laboratoire – les chercheurs ne disposent pas des fonds dont ils ont besoin pour faire l’essai et la mise en place des protocoles qui répondent aux exigences de Santé Canada relativement aux essais sur des humains.
Pour utiliser les lymphocytes T au niveau clinique, ces cellules doivent être fabriquées en milieu hautement stérile et contrôlé. Ils doivent donc être cultivés dans un incubateur sans aucun contact avec le monde extérieur. De plus, chaque ingrédient utilisé dans le processus d’enrichissement, y compris la matrice dans laquelle les cellules sont cultivées, doit être fabriqué conformément à la norme de bonne pratique de fabrication ou BPF.
Selon le Dr Nelson, le développement du processus de BPF est essentiel, mais cette question est en une liée aux règles de l’art; les organismes subventionnaires hésitent habituellement à subventionner ce processus. C’est la raison pour laquelle le soutien fourni par BioCanRx est si important. Cet organisme fournit les fonds essentiels aux chercheurs pour créer un processus de fabrication de lymphocytes T qui pourra être utilisé en clinique.
Bien que le lymphome folliculaire soit la cible immédiate, le Dr Nelson croit que cette approche peut être appliquée à d’autres types de cancer, à la condition que les mutations « conductrices » importantes puissent être identifiées.
Heather Blumenthal est rédactrice dans le domaine de la santé et de la recherche en santé depuis plus de 20 ans et elle demeure fascinée par les progrès réalisés par les chercheurs canadiens.