Dr. Jonathan Kimmelman
Associate Professor, Biomedical Ethics Unit and Associate Member, Department of Medicine, Division of Experimental Medicine, McGill University
Vous avez probablement déjà entendu l’expression « l’échec est le meilleur professeur », mais peu de gens ont pris cette expression autant au sérieux que Jonathan Kimmelman, Ph.D.
En fait, nous pouvons même dire qu’il y consacre maintenant toute son énergie.
M. Kimmelman, Ph.D., est le chercheur principal d’un nouveau projet visant à étudier les taux d’échecs en recherche sur le cancer au Canada. Il étudie le processus décisionnel complexe adopté par les chercheurs pendant qu’ils mettent au point de nouveaux médicaments contre le cancer et, surtout, il essaie de déduire pourquoi ils finissent par échouer dans 95 % des cas.
« La recherche sur le cancer est un domaine hautement propice à l’échec », explique M. Kimmelman, un chercheur financé par BioCanRx qui est professeur agrégé d’éthique biomédicale et directeur du groupe de recherche STREAM (Studies of Translation, Ethics and Medicine) à l’Université McGill. « Nous savons qu’il y a beaucoup trop d’échecs lors de la mise au point de médicaments et qu’un grand nombre de médicaments ne sont jamais commercialisés. Mais la question est pourquoi? »
C’est une question de taille – une question qui vaut de l’or – à laquelle peu de chercheurs ont tenté de répondre sérieusement. En 2015, plus de 107 milliards de dollars américains ont été alloués à l’élaboration de médicaments contre le cancer à l’échelle mondiale. Pourtant, depuis des années, le taux de succès pour commercialiser de nouveaux médicaments novateurs contre le cancer est largement inférieur au taux de succès dans tout autre domaine de recherche.
D’après M. Kimmelman, environ 14 % de tous les médicaments qui se rendent jusqu’aux essais cliniques chez l’humain (la dernière étape du processus de recherche) se révèlent sécuritaires et efficaces. Pour ce qui est des médicaments contre le cancer au Canada, ce pourcentage chute à 4,7 %, ce qui est très peu élevé. (La recherche de médicaments contre les maladies de Parkinson et d’Alzheimer a habituellement un taux de réussite inférieur, tandis que celui de la recherche contre les maladies cardiovasculaires est généralement plus élevé.)
C’est le type d’information qui découragerait les quelque 200 000 Canadiens qui reçoivent un diagnostic de cancer chaque année, selon Louise Binder.
« Les gens pensent que le système fonctionne dans notre intérêt, mais c’est un mythe. », affirme Mme Binder, conseillère en politique de santé auprès du Réseau canadien des survivants du cancer, elle-même survivante du cancer et porteuse du VIH depuis 22 ans. « Des milliards de dollars ont été injectés dans la recherche sur le cancer. Qu’en a-t-on retiré concrètement? Des résultats loin d’être suffisants. »
« Les gens me répondront que les chercheurs font de leur mieux. Mais peut-être que faire de son mieux n’est pas suffisant. »
Bien que M. Kimmelman s’empresse de souligner que l’échec fait partie de tout processus de recherche, il reconnaît qu’il s’est écoulé bien des années avant qu’il décide de se pencher sur le processus décisionnel en recherche.
« Ce type d’analyse et de recherche a été fait dans le monde de la finance, du sport, du jeu et du renseignement, ajoute-t-il, mais pas dans l’élaboration de médicaments ou d’essais cliniques contre le cancer. »
Un certain nombre de facteurs peuvent expliquer ce constat : c’est une tâche qui demande énormément de temps, il est difficile d’accéder aux renseignements sur les recherches (les résultats de bien des essais cliniques ne sont pas publiés) et il faut déployer beaucoup d’efforts pour recruter des experts en cancérologie.
« Étudier des experts est très difficile. Ils sont extrêmement occupés. Il est donc difficile de les persuader de s’asseoir et de discuter avec nous, poursuit M. Kimmelman. « Il faut frapper à beaucoup de portes. »
Son projet, intitulé Améliorer la qualité de la prise de décisions lors du développement de biothérapies contre le cancer, est financé dans le cadre du Programme d’étude de l’impact clinique, social et économique de BioCanRx pour une période de trois ans. L’équipe s’emploie actuellement à sélectionner l’échantillon d’essais qui feront l’objet de l’étude.
M. Kimmelman et les cochercheurs à Ottawa et en Alberta interrogeront ensuite plus d’une trentaine de personnes – tant des chercheurs que des étudiants, des organismes subventionnaires et des intervenants – pour cerner les partis pris et d’autres facteurs qui orientent leurs décisions de propulser de nouveaux traitements en essais cliniques.
Le processus se poursuivra au cours des deux prochaines années. Les chercheurs donneront aux personnes interrogées de la rétroaction sur les risques et les avantages de leurs décisions et évalueront dans quelle mesure elles contribuent aux faibles taux de réussite. L’idée est essentiellement d’aider les scientifiques à améliorer la recherche et de les outiller pour ce faire.
« La tâche, pour un chercheur, est en quelque sorte conflictuelle. On s’est investi corps et âme, donc bien sûr, on a un parti pris », estime le Dean Fergusson, Ph.D., cochercheur et directeur du Programme d’épidémiologie clinique à l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa. « Une partie du problème vient du fait que nous ne synthétisons pas toutes les données scientifiques que nous avons avant de poursuivre [la recherche]. On va simplement de l’avant. »
« Il faut faire un second examen objectif. »