Par Heather Blumenthal
Les obstacles scientifiques associés au cheminement d’une idée du laboratoire jusqu’à la clinique sont énormes. Mais dans le cas des immunothérapies, les obstacles ne sont pas seulement scientifiques, ils sont légaux, économiques et ils sont liés au système de santé. Ce ne sont peut-être pas les premières questions auxquelles on pense lorsqu’une nouvelle biothérapie passe du laboratoire au chevet du patient.
C’est pourquoi la contribution de Tania Bubela est si importante pour le succès de BioCanRx. La Dre Bubela, doyenne des sciences de la santé à l’Université Simon Fraser de Vancouver, s’attaque à ces obstacles et, ce faisant, elle contribue à aplanir la route rocailleuse qui mène à la clinique. Son projet d’impact clinique, social et économique avec BioCanRx vise la conception rationnelle de politiques et de pratiques qui permettront l’application clinique de nouvelles biothérapies peu coûteuses contre le cancer, comme les immunothérapies au Canada.
Les défis associés à la réussite de l’application clinique, dit-elle, sont « sans fin » et ils commencent dès le début du processus, puisqu’on doit veiller à ce que l’équipe de recherche soit composée des membres qui possèdent l’expertise requise pour relever ces défis dès le départ.
« On doit réfléchir à la connaissance et aux flux de connaissances, et on doit réunir la bonne équipe interdisciplinaire », explique-t-elle. D’autres questions doivent également être prises en compte.
La propriété intellectuelle, par exemple, peut influer sur l’application en clinique des découvertes issues de la recherche. Le paysage de la protection de la propriété intellectuelle est en train de changer, l’exclusivité des données devenant un mécanisme primaire servant à faire respecter l’exclusivité dans le domaine de la thérapie cellulaire, explique la Dre Bubela. L’exclusivité des données s’entend de la période pendant laquelle l’information fournie à un organisme de réglementation dans le but d’obtenir une approbation demeure confidentielle ou ne peut être utilisée par un tiers pour obtenir l’approbation d’un produit ultérieur. Parce que les thérapies cellulaires ne peuvent pas facilement faire l’objet d’une rétro-ingénierie, cette information est cruciale pour le développement de tout produit ultérieur. Toutefois, la complexité des données est d’autant plus grande que ces données peuvent être davantage liées à des processus qu’à des produits. Notre système actuel n’est pas bien équipé pour faire face à l’approche qui vise à étendre les monopoles et à empêcher les génériques (biosimilaires) d’être mis sur le marché. Cela a pour effet d’augmenter les coûts pour les systèmes de santé sur de plus longues périodes.
L’une des priorités de BioCanRx est la thérapie combinée. Mais lorsque chaque partie de la thérapie provient d’une entreprise différente, il faut résoudre les problèmes liés à la protection de la propriété intellectuelle de chaque entreprise tout en faisant progresser la thérapie. Par exemple, la thérapie à base de lymphocytes T à CAR, l’une des immunothérapies les plus prometteuses, vient d’être approuvée aux États-Unis dans des conditions précises. Toutefois, cette thérapie, qui a été développée grâce à un financement public, a déjà fait l’objet de litiges en matière de propriété intellectuelle entre deux universités qui ont participé à la recherche initiale. Ce genre de litige, dit la Dre Bubela, pourrait être un véritable obstacle à la mise en marché de certaines thérapies, et des accords devraient être négociés clairement et rapidement afin d’éviter de tels conflits. En fait, dit-elle, nous devons créer des incitatifs qui encourageront les universités et les entreprises à collaborer en ce qui concerne ces thérapies, ce qui pourrait signifier des partenariats public-privé plus ouverts.
La réglementation est également un défi. Le processus réglementaire actuel d’approbation de nouveaux traitements ou de nouvelles thérapies repose sur la progression des essais cliniques afin d’établir l’innocuité et l’efficacité de ces traitements et thérapies. Certains types d’immunothérapie utilisés dans certaines conditions plus rares sont très ciblés, et la probabilité de rassembler suffisamment de patients pour un essai clinique traditionnel de phase III est mince, sinon nulle. Ainsi, une grande partie des données qui témoignent de l’innocuité et de l’efficacité est souvent fournie après l’approbation de l’utilisation clinique d’un traitement. Selon la Dre Bubela, cela nécessite une nouvelle catégorie d’approbation « conditionnelle », qui peut être annulée si les preuves de l’utilisation clinique ne démontrent pas que le traitement fonctionne. De même, il pourrait y avoir une nouvelle catégorie de remboursement par les autorités de santé publique, un paiement conditionnel qui pourrait également être annulé s’il s’avérait que les avantages ne justifient pas les coûts.
Le coût, en fait, est un autre problème majeur qui peut constituer un obstacle à l’utilisation clinique des immunothérapies, même si elles passent avec succès par le processus réglementaire. La réalité, dit la Dre Bubela, c’est que les immunothérapies sont extrêmement coûteuses et qu’aucun système de santé publique ne sera en mesure de toutes les payer.
« On peut à peine payer pour ce qu’on a. Il faudra limiter le montant payé par les deniers publics pour ces traitements », dit-elle. « Il faut en réalité déterminer comment rendre ces produits abordables pour les patients? »
Tout d’abord, dit-elle, nous devons réduire les coûts, à toutes les étapes. Par exemple, à l’étape de la fabrication et à l’étape qui la précède, le bioingénieur est un membre indispensable de l’équipe, car il sait comment réduire les coûts de fabrication. D’autres mesures de réduction des coûts peuvent être prises. Par exemple, on peut raccourcir les séjours à l’hôpital en apprenant comment fonctionnent ces thérapies, d’où viennent les effets secondaires et en déterminant les solutions applicables aux itérations suivantes nécessitant une moins grande attention médicale.
Toutes ces questions peuvent annuler les travaux scientifiques les plus prometteurs et toutes sont plus faciles à traiter si elles sont intégrées au projet dès le départ. La Dre Bubela espère que son projet fournira aux chercheurs et aux organismes de réglementation une aide pratique à chaque étape de leur travail, en leur fournissant des renseignements concurrentiels sur le domaine mondial de la R-D en biothérapeutique, de nouveaux modèles de collaboration, des modèles de mise en œuvre clinique et de nouveaux paradigmes de remboursement facilitant l’accès des patients aux thérapies.
Le résultat net de son travail constituera la voie à suivre pour le cheminement des découvertes en laboratoire jusqu’à la clinique, où elles pourront effectuer le travail prévu, c’est-à-dire sauver la vie des personnes atteintes de cancer.