Par Heather Blumenthal
Scientifique principal du Programme de thérapeutique anticancéreuse de l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa. Professeur au Département de médecine et de biochimie et au Département de microbiologie et d’immunologie de l’Université d’Ottawa. Codirecteur de l’Initiative de recherche translationnelle ACTION de l’Institut ontarien de recherche sur le cancer. Directeur du Consortium canadien pour les virus oncolytiques bénéficiant d’une subvention de projet du programme Nouvelles frontières de Terry Fox.
Et, bien sûr, directeur scientifique de BioCanRx, un réseau de centres d’excellence.
La liste des titres est prodigieusement longue, mais, pour faire court, vous pouvez simplement appeler le Dr John Bell « L’Inspiré ». Tout cela parce qu’il a obtenu son doctorat (en virologie et immunologie) en étudiant un virus qui ne causait aucune maladie humaine.
Le virus, dit-il, était vraiment intéressant du point de vue biologique, mais à l’époque, dans les années 1980, il aurait été impossible d’obtenir du financement pour continuer de travailler sur ce microorganisme. Le Dr Bell a donc réorienté ses intérêts de recherche vers le domaine du cancer, où il sentait que sa formation pourrait être utile.
La réorientation n’a pas été dramatique. En étudiant les cellules cancéreuses, le Dr Bell a constaté qu’au fur et à mesure qu’elles absorbaient de la matière génétique variée leur permettant de prospérer et de repousser les attaques du système immunitaire, elles perdaient aussi leur capacité de repousser les virus. Autrement dit, elles ne pouvaient pas combattre les infections virales — ou, comme le dit le Dr Bell, elles étaient « particulièrement vulnérables aux virus », virus qui n’affectaient pas les cellules non cancéreuses. Le Dr Bell venait de découvrir qu’il pourrait y avoir une façon nouvelle et meilleure de lutter contre le cancer.
« Ce que nous faisons, affirme le Dr Bell, c’est de donner le rhume au cancer. » Comme tous les rhumes, le virus qui réussit à infiltrer la cellule cancéreuse provoque aussi une réponse immunitaire, faisant d’une pierre deux coups afin d’éliminer la cellule cancéreuse. Le moment ne pouvait être mieux choisi.
« La chimiothérapie n’était pas efficace pour traiter les patients aux prises avec une maladie répandue ou métastatique, poursuit le Dr Bell. Toutefois, une variété de nouvelles stratégies d’immunothérapie commençaient à produire des résultats en clinique qui donnaient à penser que les réponses immunitaires provoquées par le traitement viral pourraient mener à de meilleurs résultats pour les patients. »
En laboratoire, la recherche sur les virus comme outils de lutte contre le cancer faisait des progrès intéressants, mais comme le voulait la noble tradition canadienne (l’insuline, découverte canadienne phare, n’a jamais été fabriquée au Canada, fait remarquer le Dr Bell), ces découvertes ne se rendaient pas à la clinique. C’est alors qu’est entré en jeu BioCanRx, un réseau de centres d’excellence. Maintenant dans sa troisième année de fonctionnement, le réseau vise à mettre en place les conditions nécessaires pour faire passer l’immunothérapie du laboratoire à la clinique.
L’immunothérapie comprend deux parties. La première consiste à infiltrer la tumeur avec un virus, et la seconde, à neutraliser la capacité de la tumeur à repousser les attaques immunitaires avec ce qu’on appelle les inhibiteurs des points de contrôle immunitaires, des agents qui « lèvent les freins du système immunitaire ». Cette dernière, toutefois, peut avoir des conséquences négatives si la réaction immunitaire s’étend aux cellules saines.
Comme le souligne le Dr Bell, le système immunitaire est incroyablement perfectionné et peut distinguer les cibles grâce à un seul atome différent. « Si vous utilisez le système immunitaire comme un scalpel, c’est très bien, soutient-il. Mais si vous l’utilisez comme un marteau, il s’ensuit toutes sortes de dommages. »
Il faut donc trouver des approches plus ciblées, offrant la précision d’un scalpel, dans l’élaboration d’inhibiteurs des points de contrôle, afin d’atténuer les effets indésirables et d’améliorer les avantages.
Les autres domaines d’intérêt de BioCanRx comprennent la thérapie combinée — le jumelage du bon virus au bon inhibiteur des points de contrôle pour en tirer le meilleur bénéfice —, ainsi que l’amélioration de la thérapie CAR-T, qui consiste à modifier les propres cellules T du patient pour mieux lutter contre le cancer. Jusqu’à ce jour, la thérapie CAR-T fonctionne bien dans les cancers liquides, mais pas autant dans les tumeurs solides. Des chercheurs financés par BioCanRx font des progrès dans ces domaines et dans d’autres, qui augurent bien pour le passage à la clinique.
« Je suis vraiment fier de toutes les personnes actives dans ce réseau, renchérit le Dr Bell. »
Ce dont le Dr Bell est peut-être le plus fier, à sa grande surprise, est le progrès qu’accomplit BioCanRx en matière de participation des patients à son travail.
« Je ne saisissais pas vraiment tout le potentiel de la participation des patients, confie-t-il. En tant que biologiste moléculaire pur et dur, je doutais de l’utilité de ces échanges, mais je voulais certainement en faire l’expérience pour en avoir le cœur net. »
Il se trouve que cette expérience fonctionne très bien. Par exemple, lors de la réunion scientifique annuelle de BioCanRx, les représentants des patients qui étaient présents ont été jumelés à des étudiants diplômés et des boursiers postdoctoraux pour qu’ils leur expliquent les procédures très techniques. Les représentants des patients ont sans doute profité de ces échanges, mais, et cela est tout aussi important, les étudiants et les boursiers postdoctoraux ont commencé à beaucoup apprendre sur les problèmes que vivent les patients et sur la façon dont leur travail touche leur vie.
« J’espérais que les patients pourraient bénéficier de ces échanges, dit-il. Mais il était réjouissant de voir que les étudiants et les boursiers postdoctoraux en ont profité autant que les patients. »
Le Dr Bell dit qu’il adore son travail et qu’il n’a qu’un seul regret, celui de ne plus avoir la possibilité de mener lui-même des expériences en laboratoire. En revanche, il a réussi à recruter de très brillants stagiaires de partout dans le monde et au Canada. L’équipe passionnée qu’il a formée s’affaire actuellement à déterminer et à modifier de nouveaux virus qui stimuleront plus vigoureusement les réponses immunitaires antitumorales.
« J’aimais travailler au laboratoire, poursuit-il. C’était la partie du travail que je préférais. Mais je dois dire qu’il est très stimulant et gratifiant d’être le directeur scientifique de BioCanRx et d’aider à constituer des équipes avec certains des meilleurs scientifiques et cliniciens du Canada, puis de travailler avec elles. »
Heather Blumenthal écrit au sujet de la santé et de la recherche en santé depuis une vingtaine d’années et n’a jamais cessé d’être fascinée par les progrès qu’accomplissent les chercheurs canadiens.